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Les frères et sœurs de Jésus et la virginité de Marie…

De nombreuses mises en cause de la virginité de Marie se sont appuyées sur une interprétation erronée des passages des évangiles qui mentionnent les «frères et sœurs » de Jésus. Et il ne manque pas de chrétiens pour penser que Marie a eu d’autres enfants avec Joseph après avoir enfanté Jésus… Comment comprendre ce qui semble incompatible avec l’affirmation constante de la virginité perpétuelle de Marie? Le texte qui suit est tiré d’un article du P. Jean-Pierre Torell, professeur à l’Université de Fribourg, publié en 1992.

LES TEXTES DE L’ÉCRITURE

* Marc 6,3 : « Celui-là n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie et le frère (adelphos) de Jacques et de Joset et de Jude et de Simon? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous?»

* Matthieu 13, 55-56 présente à peu près le même texte avec des variantes : « Celui-là n’est-il pas le fils du charpentier? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie et ses frères Jacques et Joseph et Simon et Jude (Joseph est le même que Joset, ce dernier nom est un diminutif du premier). Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous?»

Pour les sœurs nous ne savons rien de plus, mais nous retrouvons les deux premiers noms des frères au moment de la mort de Jésus :

* « Parmi (les femmes) qui étaient au pied de la croix, il y avait : « Marie de Magdala », et «Marie, mère de Jacques et de Joseph », et «la mère des fils de Zébédée » (Mt 27,56).

* Marc a une formulation semblable, mais plus précise : « Parmi elles, il y avait Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé » (Mc 15,40).

* Le passage parallèle de Jean ne donne aucun nom de frères, mais il distingue quatre femmes : 1) « sa mère » (de Jésus, il ne la nomme jamais autrement), 2) «la sœur de sa mère », c’est probablement la même que Salomé, la mère des fils de Zébédée, 3) «Marie, la femme de Clopas », 4) « et Marie de Magdala » (Jn 1 9,25).

D’après ces textes, il est important de le remarquer, la «Marie, mère de Jacques et de Joset », n’est vraisemblablement pas la mère de Jésus, car les évangélistes se seraient exprimés autrement. Ils auraient dit par exemple: «Il y avait là sa mère Marie et ses frères Jacques et Joset. » Le témoignage de ces textes nous invite donc à prêter attention à une réalité plus complexe qu’on ne le croirait au premier abord. D’autant plus que, lorsqu’on parle de Marie et de Joseph par ailleurs, on ne voit pas qu’ils aient eu d’autres enfants. Ainsi les récits de l’enfance n’en parlent jamais et, quand Jésus est retrouvé au Temple après trois jours, on reste bien sur l’impression que la famille ne se compose que de trois personnes.

1. LA POSITION D’HELVIDIUS

On ne connaît de ce personnage (fin du IV° s.) que ce que nous savons par S. Jérôme qui le réfuta dans son livre De la virginité perpétuelle de Marie contre Helvidius. Pour lui, les frères de Jésus ce sont les enfants de Marie et de Joseph, nés après Jésus leur frère aîné. Son intention n’était pas de déprécier Marie ; au contraire, en polémique avec les manichéens qui considéraient le mariage comme intrinsèquement mauvais et contre les ascètes excessifs qui mettaient la virginité au premier plan des valeurs chrétiennes, Helvidius voulait présenter Marie comme une mère de famille nombreuse et la donner comme exemple de sainteté dans cet état. Il nous faut toujours retenir ce qu’il y a de fondé dans cette motivation et ne pas exalter la virginité de Marie aux dépens de la grandeur du mariage. Ceci dit, il faut examiner rapidement les principaux arguments sur lesquels Helvidius pensait pouvoir s’appuyer.

Puisque Luc 2,7 dit que Marie donna naissance à son fils «premier-né » (prôtotokos), on peut en conclure pensait-il, qu’elle a eu d’autres enfants après lui. En réalité, le «premier-né » de Luc, comme celui du texte grec dans lequel il lisait la Bible, renvoie à l’hébreu bekôr qui évoque non pas la naissance d’autres enfants après celui-là, mais l’idée d’une consécration spéciale à Dieu : il s’est réservé les premiers-nés des hommes comme des animaux, en «prémices » (voir ici Ex 13, 12-15 ; 34, 19-20). Premier-né n’appelle pas nécessairement puîné ; l’argumentation d’Helvidius porte donc à faux. Il est intéressant de noter au passage que Calvin faisait déjà cette remarque, ainsi que Luther et Zwingli. Contrairement à beaucoup de leurs héritiers, les premiers réformateurs n’avaient aucun doute sur la virginité perpétuelle de Marie.

Le deuxième argument mis en avant par Helvidius s’appuie sur le texte de Matthieu 1,25 : « Joseph ne connut pas (Marie) jusqu’au jour où elle enfanta un fils. » À première lecture, le texte laisserait croire qu’il la connut après ; en fait, ce n’est pas le sens du texte en grec. Sans entrer dans le détail grammatical, il faut savoir que l’évangéliste insiste sur la durée de l’action désignée : pendant tout ce temps-là, mais cela ne dit rien sur la suite. Si Matthieu avait voulu insinuer la naissance de Jésus, il se serait exprimé autrement (employant l’aoriste plutôt que l’imparfait). Sa façon de parler n’exclut pas du tout que les deux époux aient continué à pratiquer la continence. On a d’ailleurs d’autres exemples semblables de l’emploi de jusqu’à, dont le plus frappant est celui de Mikal, fille de Saul, femme de David, dont il est dit : « Elle n’eut pas d’enfants jusqu’à sa mort » (2 Sam 6, 23). Il est clair qu’elle n’en eut pas après non plus !

2. LES «INFORMATIONS » DE SAINT ÉPIPHANE

Bien connu comme défenseur de la foi de Nicée et par sa lutte contre l’apollinarisme, l’évêque de Salamine (vers 315-403) était aussi un fervent partisan de la virginité de Marie. Selon sa position, les frères de Jésus auraient été les fils de Joseph qui lui seraient nés d’un mariage antérieur. Autrement dit, Joseph était un veuf avec des enfants quand il a épousé Marie.

Cette opinion est encore courante parmi les Grecs orthodoxes et elle était encore tenue à la fin du siècle dernier par le grand savant anglican Joseph Barber Lightfoot (1828-1889). Elle est généralement écartée aujourd’hui, car les textes que nous venons de lire ne disent jamais que Joseph avait des enfants. Surtout, si Jésus est «fils de David » (Mt 1, 18-25), c’est en sa qualité de fils aîné de Joseph ; comment pourrait-il être l’héritier si Joseph avait eu d’autres fils avant lui? Si cette solution a joui d’une certaine faveur, c’est en raison de témoignages anciens qui demandent à être pris en considération.

Origène (vers 250) est fort clair à ce sujet : « Certains prétendent, en s’appuyant sur l’évangile intitulé «selon Pierre » ou sur le «livre de Jacques », qu’ils (les frères de Jésus) seraient les fils de Joseph, nés d’une première femme qu’il aurait eue avant Marie. Les tenants de cette théorie veulent sauvegarder la croyance en la virginité perpétuelle de Marie… Pour moi je pense qu’il est raisonnable de voir en Jésus les prémices de la chasteté virile dans le célibat, et en Marie celles de la chasteté féminine ; il serait en effet sacrilège d’attribuer à une autre qu’à elle ces prémices de la virginité. »

Origène nous renvoie donc aux apocryphes et la manière dans laquelle il s’exprime («certains prétendent ») montre qu’il ne leur donne pas plus de poids qu’ils ne le méritent. L’important c’est la virginité de Marie et cela, il le prend nettement à son compte. Dans un autre texte, il donne pourtant une intéressante indication et semble adopter cette façon de voir : « (Jésus) n’avait pas de frères selon la nature, car la Vierge n’avait pas donné le jour à d’autres enfants, et lui-même n’était pas le fils de Joseph. C’est donc seulement en se plaçant à un point de vue légal qu’on les a regardés comme ses frères, et du fait qu’ils étaient nés à Joseph d’un premier mariage. » Ce qui est intéressant ici c’est «le point de vue légal » ; nous le retrouverons bientôt.

Pour en terminer avec cette position, il faut souligner qu’elle a l’intérêt de montrer clairement que très tôt la conscience chrétienne a été préoccupée d’harmoniser sa foi en la virginité de Marie avec les passages évangéliques concernant les frères de Jésus. Attribuer ces enfants à Joseph était une solution élégante. Malheureusement, le dossier patristique censé l’appuyer est vraiment très faible puisqu’il repose uniquement sur les dires des apocryphes.

3. LA SOLUTION DE SAINT JÉROME

Le grand savant et connaisseur des langues anciennes qu’était saint Jérôme commence par mettre au clair les différents sens du mot «frères » dans l’Écriture. Il peut désigner : l) soit la qualité de frères proprement dite les consanguins d’une même mère ; 2) soit l’appartenance à une même «nation » (aujourd’hui encore au Moyen-Orient et quel que soit leur pays, les arabes s’appellent volontiers «frères ») ; 3) soit la communauté de sang à un degré plus éloigné (nos cousins germains, fils de deux sœurs ou de deux frères, ou les petits cousins) ; 4) soit même un lien d’amitié quelconque relevant de la parenté, de l’appartenance à un même clan ou de l’affection.

Dans le cas des frères du Seigneur, c’est à la troisième catégorie qu’il faut penser, puisque Jacques et Joset étaient les fils de Marie de Clopas, et que Jérôme fait de cette dernière une sœur de la Vierge Marie. Ses fils étaient donc les cousins germains de Jésus.

Ce type de solution est aujourd’hui le plus répandu. Ainsi la Bible de Jérusalem explique à propos de Matthieu 12,46 : « non des fils de Marie, mais des proches parents que l’hébreu et l’araméen appelaient aussi frères ». La Traduction œcuménique de la Bible s’exprime de même : « Dans la Bible comme aujourd’hui en Orient, le mot «frère » peut désigner soit les fils de la même mère, soit les proches parents. » Pour appuyer cela les deux bibles fournissent toute une série de références incontestables.

Il faut remarquer toutefois que c’est davantage la conclusion de Jérôme qui est retenue, plutôt que le détail de son explication. On s’est en effet aperçu, depuis longtemps que Jérôme a fait ici plusieurs confusions : d’abord, il confond Jacques le Petit avec Jacques fils d’Alphée ; ensuite, il ne distingue que trois femmes au pied de la croix et non quatre, et c’est pour cela qu’il fait de Marie de Clopas la sœur de la Vierge Marie, alors qu’en réalité c’est «l’autre Marie » qui est cette sœur ; enfin, cette Marie (femme) de Clopas, il est obligé d’en faire une Marie (femme) d’Alphée à cause de la confusion entre Jacques le Petit et Jacques fils d’Alphée et il ne sait s’en expliquer.

Pour ces raisons, la théorie de Jérôme est aujourd’hui rejetée par les exégètes, et c’est parce que Lightfoot s’était rendu compte de sa faiblesse qu’il s’était rallié à la position d’Épiphane selon laquelle ces frères de Jésus seraient des enfants de Joseph. Les exégètes d’aujourd’hui s’emploient donc à retrouver la conclusion de Jérôme mais ils cherchent à l’établir plus solidement.

4. UNE NOUVELLE PROPOSITION

Il faut d’abord reconnaître que ni l’hébreu ni l’araméen n’ont de mot propre pour dire «cousin germain » ; ils en ont un pour dire oncle (dodh) et un autre pour dire tante (dodhah). De sorte que pour parler des cousins et cousines on peut toujours dire : les filles ou les fils de mon oncle ou de ma tante. D’autre part, les évangiles n’ont pas été écrits en hébreu ou en araméen, mais en grec hellénistique et cette langue a un mot très précis pour dire cousin germain (anepsios ; une seule fois en Col 4,10 : « Marc, le cousin de Barnabé »). Il n’y a donc pas ici une simple indigence de vocabulaire et le mot frère doit désigner quelque chose de plus précis.

Si l’on s’efforce de prendre en considération toutes les données évangéliques et patristiques, en particulier celles qui concernent les diverses femmes et leur nom, on en arrive à la conclusion que Clopas était le frère de Joseph et que Marie («l’autre Marie »), mère de Jacques et de Joset était leur sœur à tous deux. C’est ainsi qu’on peut proposer le tableau ci-dessous, qui permettra de visualiser les liens de parenté entre les différents personnages.

On voit donc que la parenté s’établit ici par le biais de Joseph et non par Marie comme l’avait pensé Jérôme mais, pour l’essentiel, on retrouve bien sa solution : les frères sont effectivement des cousins. Mais on la retrouve libérée de la confusion que faisait Jérôme entre les deux Jacques (l’apôtre, le fils d’Alphée, et Jacques le Petit). Le gain est mince, pensera-t-on peut-être. En réalité, il n’y a pas que cela. Il est assez probable que Jacques et Joset étaient les enfants adoptifs de Joseph (rappelons-nous «le point de vue légal » d’Origène). «L’autre Marie » devenue veuve serait allée vivre chez son frère et, à ce moment-là, Jésus, Jacques et Joset auraient été élevés ensemble et c’est cela qui permettrait d’expliquer deux ou trois curieux petits détails du texte évangélique.

L’expression «l’autre Marie » servait à désigner celle qui n’était pas la mère de Jésus ; on l’appelle «la sœur de sa mère », en réalité ce n’est que sa belle-sœur (adelphè en grec peut très bien avoir ce sens), puisqu’elle est la sœur de Joseph. Quant au diminutif «Joset », autrement dit «le petit Joseph », il se justifie parfaitement à partir du moment où il y a dans la maison un aîné qui s’appelle déjà Joseph, et on comprend aussi que ce soient les gens de Nazareth qui parlent ainsi des «frères » de Jésus, puisqu’ils les ont toujours vus ensemble.

Il y a surtout un autre détail du texte qui peut être enfin convenablement traduit : « Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie?». Cela n’a pas beaucoup de sens pour s’étonner des miracles de Jésus. Il faut plutôt rendre ainsi le texte : « Ne dit-on pas de Marie qu’elle est sa mère, de Jacques, de Joseph, de Simon et de Jude qu’ils sont ses frères?» (Mt 13, 55-56). C’est la tournure qu’on retrouve dans les sources patristiques à propos de Simon et de Jude : ils étaient appelés les frères du Seigneur, c’est-à-dire : on disait qu’ils étaient… On laissait entendre ainsi que ce n’était pas tout à fait la réalité.

Cette explication peut paraître subtile. Elle l’est certes mais pas plus que ne l’est la réalité de cette famille dont on ne nous parle que par allusions, sans prétendre en donner l’arbre généalogique complet. Un exégète évoquait à ce propos le cas de sa propre famille où il n’y avait pas moins de six Marie. Je peux citer moi-même une maison où il y avait quatre Joseph et une autre où il y a trois Hélène. Que se passe-t-il alors? Pour ne pas les confondre, on est obligé de leur donner un surnom, et nous retrouvons les cas de Joseph et Joset, de Marie et de «l’autre Marie » ou «Marie de Clopas ». Qui voudra y réfléchir un instant s’apercevra bien que la complexité n’est redoutable qu’en apparence et que cette explication rend très bien compte du fait que Jésus était l’unique enfant de Marie et que ses «frères » n’étaient autres que ses cousins germains du côté de Joseph, son père adoptif.

Tag(s) : #Vierge Marie
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